L’Enfant gâté (Félicité DE GENLIS)

Comédie en deux actes.

Représentée en 1779.

Éditée dans le Tome I de Théâtre à l’usage des jeunes personnes, 1779.

 

Personnages

 

MÉLANIDE, veuve

LUCIE, nièce de Mélanide

DORINE, maîtresse de musique et de dessin de Lucie, et logeant chez Mélanide

TOINETTE, fille d’une femme de chambre, élevée avec Lucie

 

La scène est à Paris, chez Mélanide.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

MÉLANIDE, DORINE

 

Le théâtre représente un Cabinet d’étude ; on y voit des Livres, des Globes, des Sphères, etc.

MÉLANIDE.

Il y a longtemps, ma chère Dorine, que j’ai envie d’avoir une conversation un peu détaillée avec vous sur ma nièce ; je veux que vous me parliez franchement. Je vous ai mise auprès d’elle, non-seulement pour cultiver son cœur et son esprit, et lui donner des talents agréables, mais surtout pour me dire la vérité, et m’aider à la connaître.

DORINE.

J’ai le défaut de ne pouvoir cacher ce que je pense ; et, d’ailleurs, Madame est si pénétrante...

MÉLANIDE.

Moi ! point du tout ; voilà précisément ce que je ne suis pas ; et puis la dissipation dans laquelle je vis me laisse-t-elle le temps de réfléchir ?... J’aime le monde, mais j’aime encore mieux ma nièce ; et si j’avais moi-même plus d’instruction, j’aurais tout quitté avec joie pour me consacrer entièrement à l’éducation de Lucie.

DORINE.

Personne n’est plus en état que Madame...

MÉLANIDE.

Non, je me rends justice ; je n’ai nul talent, je ne sais rien. J’ai eu des maîtres dans ma jeunesse ; mais je fus élevée loin de mes parents, voilà la meilleure excuse que je puisse donner de mon ignorance. Enfin, Lucie m’est chère au-delà de l’expression ; je suis veuve, je n’ai point d’enfants ; elle est ma seule héritière ; je ne veux pas qu’elle puisse me reprocher un jour la négligence dont mille fois, au fond du cœur, je n’ai pu m’empêcher d’accuser mes parents à mon égard.

DORINE.

Mademoiselle Lucie est bien digne de votre tendresse ; elle est charmante.

MÉLANIDE.

Voilà ce que vous lui répétez sans cesse, et ce que je lui dis souvent moi-même ; et nous avons tort, nous la gâtons.

DORINE.

Ah ! Madame, ce n’est pas un caractère comme le sien qu’on peut gâter.

MÉLANIDE.

Il est vrai qu’elle est plus formée qu’on ne l’est ordinairement à son âge... Par exemple, sa facilité à contrefaire tout le monde est une chose que je n’ai vue qu’à elle.

DORINE.

Et elle n’a pas quatorze ans.

MÉLANIDE.

Il est certain qu’elle promet beaucoup ; mais je voudrais qu’elle joignît à tous ses agréments naturels de grands talents et un bon cœur. Sans talents on s’ennuie ; moi, je l’éprouve. Recevoir et faire des visites, est un plaisir dont on se lasse si promptement !... Et voilà cependant la plus grande ressource des personnes désœuvrées. En fin, je lui désire une âme sensible, parce que sans ce don précieux, si digne d’être cultivé, on ne jouit de rien, et que c’est toujours une excellente chose à retrouver quand on n’est plus jolie. On pense alors avec tant de plaisir que des amis valent mieux que des admirateurs !

DORINE.

Madame a un fonds de morale qui me charme toujours.

MÉLANIDE.

J’espère que Lucie, instruite, élevée par vous, en aura davantage encore : l’étude et la lecture donneront à son esprit ce qui manque au mien.

DORINE.

D’autant mieux qu’elle a une application, une mémoire... et un goût naturel...

MÉLANIDE.

Oui, elle a beaucoup de goût, cela se voit dans les plus petites choses... je crois qu’elle se mettra fort bien... elle se coiffe déjà avec grâce... Mais je ne croyais pas qu’elle fût très appliquée.

DORINE.

Ah ! trop peut-être pour sa santé ; car elle a des nerfs d’une délicatesse...

MÉLANIDE.

Elle tient cela de moi... Mais vous m’assurez toujours que vous êtes enchantée d’elle, qu’elle apprend à merveille ; et ce pendant, que sait-elle ?

DORINE.

Elle est si jeune...

MÉLANIDE.

Quand j’assiste à vos leçons, je vous avoue que sa distraction et votre indulgence m’impatientent toujours.

DORINE.

Mais, Madame, je vous en ai déjà expliqué les raisons : votre présence l’intimide ou l’occupe ; elle vous regarde, pense à vous, et...

MÉLANIDE.

Ma chère Dorine, vous me flattez.

DORINE.

Mon Dieu, Madame, tenez, encore hier, j’ai grondé Mademoiselle sur ce qu’elle avait mal joué du clavecin devant vous ; elle m’a répondu : C’est que ma tante était vis-à-vis de moi ; et je pensais qu’il n’y a pas dans le monde de plus beaux yeux que les siens, de plus expressifs, de plus brillants...

MÉLANIDE, d’un ton sévère.

Lucie vous a dit cela ?

DORINE.

Mot à mot, et avec cette naïveté, celte grâce, qui lui sont si naturelles...

MÉLANINE, du même ton.

De bonne foi, Mademoiselle, pensez vous me séduire par cette flatterie ridicule ?

DORINE.

Quoi, Madame, me croiriez-vous capable ?...

MÉLANIDE.

Écoutez-moi. Je vous trouve mille bonnes qualités : vous avez de l’esprit, des talents, de l’instruction ; mais, de grâce, si vous voulez que nous vivions ensemble, ne me louez pas ; je hais les éloges et je m’en défie.

DORINE.

La modestie accompagne toujours la supériorité.

MÉLANIDE.

Encore !...

DORINE.

N’en parlons plus. Croyez, Madame, que mon attachement pour vous et pour Mademoiselle votre pièce est sans bornes, et que...

MÉLANIDE.

Prouvez-le-moi donc en me secondant. J’exige encore une chose de vous ; c’est que vous donniez quelques soins à l’éducation de cette petite fille qui est élevée auprès de Lucie.

DORINE.

Toinette ?...

MÉLANIDE.

Oui. Elle est orpheline, et fille d’une femme qui fut quinze ans à mon service, et qui me la recommanda en mourant : d’ailleurs, cette jeune personne annonce le meilleur naturel ; elle est remplie d’heureuses dispositions. Vous voyez comme elle profite des leçons que vous donnez à Lucie ; elle dessine, elle joue du clavecin toute la journée ; je ne suis pas en état de juger si c’est avec succès, mais ce désir d’apprendre, à son âge, la rend réellement intéressante.

DORINE.

Je vous obéirai, Madame, mais je vous avoue que je n’ai pas une grande idée de son esprit.

MÉLANIDE.

Elle est douce, ingénue, sensible et vraie : avec les personnes à qui elle doit du respect, elle ne parle guère qu’on ne l’interroge ; mais ses réponses sont justes. Elle ne fait rien que de bien ; elle est réservée, discrète, appliquée, reconnais sante ; elle sait se faire aimer. S’il est vrai qu’on puisse être tout cela sans esprit, vous conviendrez que l’esprit est un avantage dont on peut très facilement se passer.

Elle regarde à sa montre.

Mais je m’oublie, tout en causant ; il est midi ; j’ai vingt personnes à déjeuner qui doivent être arrivées à présent.

DORINE.

Ne fait-on pas une lecture aujourd’hui chez Madame ?

MÉLANIDE.

Et vraiment oui, et qui nous tiendra jusqu’à quatre heures ; et je veux aller à l’Opéra nouveau, car j’ai ma loge. Lucie va venir prendre ses leçons ; vous lui direz que si vous êtes contente d’elle, je la mènerai à l’Opéra. Adieu, ma chère Dorine, n’oubliez pas cet entretien, et justifiez par votre conduite toute la con fiance que j’ai en vous.

Elle sort.

 

 

Scène II

 

DORINE, seule

 

Quelle folle !... parfiler, aller aux spectacles, recevoir des visites, voilà toutes ses occupations. Elle vante sans cesse à sa nièce les charmes de l’étude et l’utilité de l’application, et l’exemple qu’elle lui donne est éternellement en contradiction avec ses discours. Et puis, dans d’autres moments, n’écoutant qu’une aveugle tendresse, elle croit sa nièce un petit prodige de perfection, et la loue avec excès ; et tout le monde, pour lui plaire, en dit autant ; mais quand Mélanide a le dos tourné quelles moqueries ne fait-on pas de cette petite fille, qui en effet, vaine, indocile, étourdie, n’apprendra jamais rien. Au reste, que m’importe ? je la flatte, je lui passe ses caprices, je m’en fais aimer ; elle se mariera, sera riche, fera ma fortune ; voilà l’essentiel. Mais, paix, j’entends quelqu’un : ah ! c’est Lucie.

 

 

Scène III

 

DORINE, LUCIE

 

LUCIE.

Je croyais ma tante ici ?

DORINE.

Elle en sort dans l’instant, et m’a chargée de vous dire que si vous preniez bien toutes vos leçons, elle vous mènerait à l’Opéra.

LUCIE.

Aujourd’hui.

DORINE.

Oui.

LUCIE.

Et c’est l’Opéra nouveau ?... Ah ! je suis charmée. Mon Dieu, que n’ai-je su cela plus tôt !

DORINE.

Pourquoi ?

LUCIE.

Oh, c’est que je suis coiffée à faire horreur... et ma robe neuve... je ne l’aurai que demain ! cela est piquant, vous en conviendrez.

DORINE.

De quelque manière que vous soyez, n’êtes-vous pas toujours sûre de plaire ?

LUCIE.

Et d’ailleurs, c’est une plaisanterie... j’attache si peu de prix à toutes ces choses-là. Trouvez-vous cet habit bien garni ?

DORINE.

Il est charmant

LUCIE.

Oui, mais il a un peu perdu de sa fraîcheur... J’aime mieux le couleur de rose que j’avais hier. Qu’en pensez-vous ?

DORINE.

Moi, celui que vous portez me paraît toujours le plus joli.

LUCIE.

J’aurais le temps de me rhabiller avant le dîner ?

DORINE.

Et nos leçons ?

LUCIE.

Cela est vrai... Allons, allons, je resterai comme cela ; aussi bien c’est autant de peine épargnée, et je hais la toilette à la mort... Eh bien, que ferons-nous ?

DORINE.

Mais, votre Maître de danse va venir, et quand vous aurez dansé nous dessinerons et nous jouerons du clavecin.

LUCIE.

Oh, pour danser aujourd’hui, cela m’est impossible ; j’ai mal dormi, je suis d’une lassitude à ne pouvoir me soutenir sur mes jambes...

DORINE.

Mais asseyez-vous.

Elle lui approche un fauteuil, Lucie s’assied, et s’étend nonchalamment.

LUCIE.

J’ai réellement une courbature affreuse.

DORINE.

En effet, vous avez l’air abattu.

LUCIE.

Tout de bon, vous me trouvez changée ?

DORINE.

Extrêmement.

LUCIE.

Cela tient peut-être aussi à la manière dont je suis fagotée... Oh ! voilà qui est décidé, je me ferai sûrement recoiffer pour l’Opéra... Ma tante ne donne-t-elle pas à déjeuner ce matin ?

DORINE.

Oui. Il y a une lecture.

LUCIE.

Oh ! quand je serai mariée, j’aurai des lectures aussi, et des déjeuners... Cela est charmant, un déjeuner !...

DORINE.

Oui, cela occupé depuis midi jusqu’à quatre heures.

LUCIE.

Et puis le spectacle, et puis le souper, et puis le bal : voilà ce qui s’appelle jouir de la vie. Que ma tante est heureuse ! enfin, j’aurai mon tour.

DORINE.

En attendant, il faudrait acquérir des talents : si l’on se lasse des spectacles, si le bal fatigue, si l’on se dégoûte du grand monde, il est doux alors de pouvoir se suffire à soi-même.

LUCIE.

Mais voyez ma tante, elle a conservé tous les goûts de la première jeunesse ; pourquoi n’aurais-je pas la même cons tance ? et pourquoi, par une étude pénible, me livrer à un ennui certain pour me procurer des ressources éloignées, dont je n’aurai peut-être jamais besoin ?

DORINE.

Mais Madame votre tante elle-même ne se plaint-elle pas tous les jours de l’éducation négligée qu’elle a reçue ? Elle se livre à la dissipation plus par habitude que par goût...

LUCIE.

Il est vrai qu’elle bâille à la Comédie, qu’après tous ses déjeuners elle a des va peurs, et toujours sa migraine quand elle a été au bal de l’Opéra. Oui, cela est vrai... je sens bien que les talents et l’instruction peuvent être de quelque utilité... et puis passer pour ignorante, cela est humiliant, cela me répugne, je l’avoue.

Elle tombe dans la rêverie.

DORINE.

Vous rêvez ?

LUCIE.

Oui, je me sens des mouvements de raison qui m’attristent ; vous venez de me dire des choses qui m’ont frappée... Pourquoi, ma chère amie, ne m’avez-vous pas toujours parlé de cette manière ?

DORINE.

Mais je ne veux pas vous attrister ni vous contrarier.

LUCIE.

Croyez-vous qu’en ne me donnant pas plus de peine que je n’en prends, je pour rai un jour avoir du moins l’apparence de quelques talents ?... l’écorce ; c’est tout ce que je voudrais.

DORINE.

Et déjà ne passez-vous pas pour en avoir ?

LUCIE.

Oui, mais, entre nous, je ne sais rien.

DORINE.

Oh ! vous êtes aussi trop modeste ; vous jouez très joliment du clavecin.

LUCIE.

Hélas ! cela se borne à trois ou quatre pièces que je sais de routine.

DORINE.

Le dessin va très bien ; votre dernière tête est charmante.

LUCIE.

Grâce à vous.

DORINE.

Non, réellement, je n’y ai presque pas retouché.

LUCIE.

Mais l’histoire et la géographie, par exemple, je n’en sais pas un mot.

DORINE.

Vous savez les titres de beaucoup de livres ; voilà tout ce qu’il faut pour le monde ; dites hardiment que vous les avez tous lus. Avec cela, ayez toujours un livre dans votre sac et sur votre toilette, soutenez que vous aimez la lecture avec passion, et vous passerez bientôt pour la personne la plus instruite.

LUCIE.

Voilà une drôle de manière d’être sa vante, elle me convient beaucoup. Allons, je l’adopterai ; et puis, ma chère amie, vous resterez toujours avec moi ; vous corrigerez mes dessins, et même mes tableaux, quand je peindrai ; ainsi voilà encore un talent de sûr.

DORINE.

Allez, Mademoiselle, je vous promets que vous aurez tous ceux qu’on a communément dans la société : les vrais, les grands talents, sont si rares dans les personnes de votre état !

LUCIE.

Eh ! voilà précisément ce qui fait qu’il est si flatteur d’en avoir... Tenez, Toinette en aura tout de bon ; eh bien, je voudrais lui ressembler.

DORINE.

Ah ! par exemple, voilà un souhait bizarre.

LUCIE.

J’aime Toinette ; je ne suis point jalouse des avantages qu’elle a sur moi, mais je les vois, et il y a des instants où cela m’afflige.

DORINE.

En vérité, c’est être également aveugle sur son compte et sur le vôtre. Vous êtes remplie d’esprit, vous avez les plus heureuses dispositions pour apprendre ; et Toi nette est une petite fille capable d’assez d’application, mais au fond très bornée, malgré son petit air sournois et son ton caustique et moqueur.

LUCIE.

Non, ne vous y trompez pas, Toinette a de l’esprit, avec sa mine douce et naïve.

DORINE.

Vous êtes bien en état d’en juger, mais vous êtes ‘si indulgente... Enfin, cela tient peut-être à la comparaison que je fais sans cesse d’elle à vous ; mais elle me déplaît extrêmement.

LUCIE.

J’en suis fâchée ; car j’aime Toinette.

DORINE.

Elle a cependant une certaine grossièreté, une rudesse dans le caractère, qui ne devraient guères sympathiser avec vous.

LUCIE.

Il est vrai qu’elle dit les choses un peu crûment ; cela me fâche quelquefois, et puis je lui pardonne : cela est singulier, sa sincérité me choque ; Toinette moins franche me serait sûrement plus agréable ; mais peut-être aurais-je moins de confiance en elle. Je ne puis définir cela ; il semble que plus elle me contrarie et plus elle m’attache.

DORINE.

Dans ce cas, Mademoiselle, je suis fort malheureuse, moi, qui vous aime avec un excès qui ne me permet pas de vous faire éprouver la moindre contrariété.

LUCIE.

Aussi, ma chère amie, je vous aime encore plus que Toinette ; vous me paraissez mille fois plus aimable qu’elle : je voudrais la consulter quelquefois ; mais c’est avec vous que je voudrais passer ma vie.

DORINE.

Allons, je suis contente de mon partage ; mais je crains cependant qu’il ne soit pas le plus solide...

LUCIE.

Ah ! croyez que mes sentiments pour vous sont aussi durables qu’il sont tendres... Mais qui vient nous interrompre ? Ah ! c’est Toinette.

 

 

Scène IV

 

TOINETTE, LUCIE, DORINE

 

LUCIE.

Que voulez-vous Toinette ?

TOINETTE.

Mademoiselle, c’est votre maître à danser...

LUCIE.

Oh ! je ne danserai point ; vous n’avez qu’à lui donner un cachet et le renvoyer.

TOINETTE.

Mais, Mademoiselle, vous avez déjà manqué votre dernière leçon...

DORINE.

Eh bien ! après... voulez-vous que ma demoiselle danse dans l’état où elle est ?

TOINETTE.

Qu’est--ce qu’elle a donc ?

DORINE.

Elle a, elle a une courbature effroyable.

TOINETTE.

Ce que je sais, c’est qu’elle se portait à merveille il y a une demi-heure, et qu’elle sautait dans le jardin...

LUCIE.

C’est que naturellement je ne m’écoute pas ; je ne suis pas douillette... mais le fait est que je suis malade, et que je ne prendrai pas de leçon de danse.

TOINETTE.

Oh ! ce dernier fait-là me paraît certain ; aussi j’y crois sans peine. Allons, je vais donner le cachet... Voilà de l’argent bien employé !

Elle sort.

LUCIE, après un moment de silence.

Toute réflexion faite, j’ai envie de prendre ma leçon de danse...

DORINE.

Voulez-vous que je rappelle Toinette ?

LUCIE.

Que me conseillez-vous ?

DORINE.

Mais... de ne point vous fatiguer.

LUCIE.

D’ailleurs, je danserai plus longtemps demain.

DORINE.

Sans doute, cela reviendra au même ; et puis, une leçon de plus ou de moins, qu’est-ce que cela fait ?

LUCIE.

Ma chère amie, que vous êtes indulgente et douce !... Mais que nous veut encore Toinette ?

TOINETTE, revenant.

Madame vous demande, Mademoiselle.

LUCIE.

La lecture n’est donc pas encore commencée ?

TOINETTE.

Non, Mademoiselle, et il y a plusieurs Dames qui désirent vous voir un moment. Madame vous prie de porter votre carton de dessins.

DORINE.

Le voilà.

Lucie le prend.

LUCIE, à Dorine.

Ma chère amie, vous allez m’attendre ici... Adieu ; je suis charmée d’aller faire un tour là-dedans.

Elle sort en courant et en sautant.

 

 

Scène V

 

DORINE, TOINETTE

 

TOINETTE, regardant sortir Lucie.

La courbature va mieux, à ce qu’il me paraît.

DORINE, souriant.

Vous croyez donc qu’elle a un peu exagéré ?...

TOINETTE.

Oui, Mademoiselle ; et vous aussi vous le croyez.

DORINE, d’un ton sec.

Où prenez-vous cela ? Je pénètre votre pensée, je vois que vous soupçonnez Mademoiselle Lucie de mensonge et d’artifice ; mais pour moi certainement je suis fort loin d’avoir d’elle une semblable opinion.

TOINETTE.

Il n’est pas bien fin de pénétrer ma pensée, car je la dis tout simplement ; mais moi j’en devine souvent qu’on voudrait déguiser.

DORINE.

De qui voulez vous parler, s’il vous plaît ?

TOINETTE.

Ah, voilà mon secret.

DORINE.

Vous pouvez le garder ; je n’ai nulle en vie de l’apprendre. Mais de quoi je veux vous instruire, c’est qu’il faut que vous ayez la bonté de changer le ton que vous avez pris depuis quelque temps, non pas avec moi, car vos discours me sont absolument indifférents, mais avec Mademoiselle Lucie. Véritablement vous vous oubliez : vos manières avec elle ne sont pas supportables ; vous contrôlez sans ménagement tout ce qu’elle fait, tout ce qu’elle dit. Il semble réellement que vous ayez de l’aversion pour elle. Si cela continue, je vous préviens que j’en avertirai Madame. C’est un devoir dont je ne pourrai me dispenser.

TOINETTE.

Vous êtes trop judicieuse, Mademoiselle, pour ne pas entendre auparavant ma justification. Premièrement personne n’est plus attaché que moi à Mademoiselle Lucie ; je n’ai pas le bonheur de lui plaire ; mais je l’aime, parce qu’en dépit de tout ce qui s’y oppose, elle est bonne, sensible et franche. Ce qu’elle fait de mal ne vient pas d’elle : quand elle ne dit pas la vérité, quand elle est dure, hautaine, capricieuse, tous ces défauts lui sont inspirés ; ils ne sont pas dans son caractère, car son naturel est excellent : ainsi, quand je la blâme, ce n’est pas elle que je désapprouve... Vous devez comprendre cela. Je le définis mal, il y a peut-être un peu d’obscurité dans ce que je dis ; mais, si vous voulez, je tâcherai de m’expliquer mieux.

DORINE.

Il suffit : la suite vous fera voir que j’ai eu l’intelligence de vous comprendre. Mais quelqu’un vient.

À part, en regardant Toinette.

Voilà une dangereuse petite créature, il faut la faire chasser d’ici.

 

 

Scène VI

 

DORINE, TOINETTE, LUCIE

 

Lucie entre en courant, elle jette son carton sur une table.

LUCIE.

Ah ! je suis tout essoufflée !... Mon Dieu, quel monde il y a là-dedans ? Ah ! ma chère amie, la jolie robe que je viens de voir !

DORINE.

À qui ?

LUCIE.

À Madame de Bercy. C’est une robe à la Polonaise tout simplement ; mais elle est garnie de fleurs de pêcher, avec un goût, une grâce... Et puis des fleurs de pêcher, on n’en a pas encore vu. Oh, cela est charmant... Elle a bien de l’imagination, ma dame de Bercy !

DORINE.

Il serait à désirer seulement qu’elle fût un peu plus jolie.

LUCIE.

Elle a beaucoup d’éclat.

DORINE.

Oui, mais on dit qu’elle met du blanc.

LUCIE.

Bon !...

DORINE.

Oh, je n’en crois rien... Cependant elle a le front bien luisant.

LUCIE.

Ah, ah, c’est drôle ; dès qu’on a le front luisant ?...

TOINETTE.

Oui, on met du blanc. C’est un principe bon à retenir. Par exemple, Monsieur votre grand oncle met du blanc sûrement...

LUCIE.

Quelle folie !...

TOINETTE.

Mais dame, la règle est donc fausse ; car il a le front encore plus luisant que celui de Madame de Bercy.

DORINE, à Lucie.

Qu’a-t-on dit de vos dessins ?

LUCIE.

On les a trouvés charmants, la tête de vieillard surtout.

TOINETTE.

Eh mais ! celle-là est entièrement l’ouvrage de Mademoiselle Dorine.

DORINE.

Point du tout ; j’ai mis seulement l’en semble, et j’y ai donné quelques coups de force...

TOINETTE.

Ah ! cela est vrai, vous n’avez fait que l’ébaucher et la finir.

LUCIE, avec un souris forcé.

Toinette ne me gâte pas.

TOINETTE.

Flatter, c’est tromper ; et comment tromper ce qu’on aime ?

LUCIE.

Avec cette manière-là, Toinette, vous aurez toujours le droit de me tout dire.

DORINE.

Madame de Surville est-elle là-dedans ?

LUCIE.

Oui, avec sa fille, qui est plus droite et plus apprêtée que jamais.

DORINE.

Mademoiselle Flore ; oh, je crois qu’elle est bien fière d’assister à une lecture ?

LUCIE.

Ah ! je vous en réponds : elle n’a cependant que deux ans plus que moi, et elle est d’une pédanterie...

TOINETTE.

On dit qu’elle est un prodige d’instruction.

DORINE, ironiquement.

Un prodige !... Et qu’est-ce qui lui dit cela ?

TOINETTE.

Ce n’est pas celle qui l’élève, mais c’est tout ce qui la connaît. Pour moi, je puis assurer qu’elle a bien de la modestie ; car elle ne parle jamais d’elle, et cherche toujours à faire valoir les autres.

DORINE.

Il est vrai qu’elle distingue Mademoiselle Toinette, et que toutes les fois qu’elle vient ici, elle la loue sur ses grands talents.

TOINETTE.

Non, Mademoiselle, elle ne me donne point de louanges exagérées et ridicules ; elle a un trop bon esprit pour être obligeante aux dépens de la vérité ; mais elle me fait sans cesse admirer son indulgence.

LUCIE.

Ma chère Toinette, je crois Mademoiselle Flore une personne remplie de mérite ; mais elle a le malheur d’être pédante, je ne puis vous le dissimuler.

DORINE, riant.

Oh oui, pédante est le mot ; cela est trouvé à merveille. Et pédante à seize ans !... Tout ce que tout cela promet de charmes pour l’avenir !

TOINETTE, Lucie.

Mais, Mademoiselle, oserais-je vous demander en quoi elle est pédante ?

LUCIE.

En quoi ?... Mais en tout.

TOINETTE.

Mais encore, ayez la bonté de m’en citer quelques traits...

LUCIE.

Oh ! je vous en citerai mille.

TOINETTE.

Eh bien, un seulement.

LUCIE.

Mais elle a un maintien pédant, une certaine manière de pincer la bouche et d’entrer dans une chambre... Tenez, voulez-vous la voir ?... la voilà...

DORINE, riant.

Ah ! parfait, parfait, c’est elle-même... Encore, je vous prie... Ah ! cela est charmant...

LUCIE.

Et puis, quand elle est assise, voilà comme elle est... sur le bord de sa chaise... sérieuse... se retournant tout d’une pièce... et de temps en temps une petite toux...

DORINE.

Oh, la petite toux est charmante !... C’est cela même... Mon Dieu, je crois la voir... excepté qu’elle n’a ni cette taille, ni ce visage-là.

LUCIE.

Toinette est fâchée, elle ne rit pas.

TOINETTE.

J’écoute, je regarde et je m’instruis. Je me faisais une tout autre idée de la pédanterie : je croyais qu’elle consistait surtout à chercher les occasions de briller, de faire des citations et de décider hardiment ; mais votre définition est beaucoup plus simple... Avoir la poitrine délicate et s’asseoir sur le bord de sa chaise, voilà ce qui fait une pédante : je m’en souviendrai.

LUCIE, riant.

Réellement Toinette est piquée... Ah çà, Toinette, puisque vous aimez tant Mademoiselle de Surville, je vous promets que je ne me moquerai plus d’elle ; cela me coûtera, mais je m’y engage... Allons, ne boudez plus.

TOINETTE.

Mais, dites-moi, Mademoiselle, que vous a-t-elle fait pour la haïr ?

LUCIE.

Mais je ne la hais point.

TOINETTE.

Cependant vous en dites tout le mal que vous en savez ; et même, si vous voulez être vraie, vous conviendrez que vous exagérez les ridicules que vous lui trouvez ; que ferait de plus la haine ?

LUCIE.

Mais... le croyez-vous, Toinette ?... ce que vous me dites là me fait de la peine... Cependant je n’attaque point sa réputation...

TOINETTE.

Quand vous seriez capable de cette noirceur, le pourriez-vous ? Mademoiselle de Surville n’est-elle pas un modèle de douceur, de modestie, de bonté ? serait-on écouté si on disait le contraire ?...

LUCIE, à Dorine.

Mais, ma chère amie, elle m’effraie... Mon Dieu, ce que j’ai fait est-il si criminel ?...

DORINE.

Mais, quelle enfance de vous reprocher un badinage innocent, qui ne peut paraître dangereux qu’aux yeux de Mademoiselle Toinette ! Eh bien, vous vous moquez de Mademoiselle Flore, le grand mal ; elle n’a qu’à vous le rendre, vous ne vous en formaliserez pas.

LUCIE.

Oh pour cela non, au contraire, j’en serais charmée : oui, je voudrais qu’elle me le rendit, afin que nous fussions quittes ; car cette plaisanterie, je ne sais pourquoi, me pèse à présent, malgré que j’en aie.

TOINETTE.

Pour Mademoiselle de Surville, je vous assure qu’elle vous la pardonne de tout son cœur.

LUCIE.

Comment, elle sait que je la contrefais ?

TOINETTE.

Plusieurs personnes l’en ont avertie, elle me l’a dit, et je n’ai pu le nier.

LUCIE.

Eh bien ?

TOINETTE.

Eh bien, elle en a beaucoup ri.

LUCIE.

Elle en a ri ?

DORINE.

Oh, du bout des lèvres, je crois.

TOINETTE.

Et puis elle s’est reproché d’en rire ; car, m’a-t-elle dit, cela doit faire pitié. Cette pauvre jeune personne, qui croit ne faire qu’une plaisanterie, donne mauvaise opinion de son esprit et de son cœur : et les mêmes gens qui ont l’air de s’en amuser, la jugent sur ce petit tort avec autant de rigueur que si elle avait un âge raisonnable.

LUCIE.

Elle dit cela ?... Elle le pense ?...

TOINETTE.

Oh, elle est la vérité même.

LUCIE.

Je veux avoir une explication avec elle... Je veux me justifier, ou du moins réparer ma faute... Toinette, pensez-vous qu’elle ne croie pas que j’ai un mauvais cœur ?

DORINE.

Ah çà, finissons cet entretien, qui, en vérité, n’a pas le sens commun. Il faut aller dîner, et n’y pas perdre un moment, car nous avons encore toutes nos leçons à prendre avant l’Opéra.

À Lucie.

Allons, Mademoiselle, venez... À quoi rêvez-vous donc ?

LUCIE.

Je suis triste à mourir... Je n’ai pas faim, je ne dînerai point.

DORINE.

Mais si vous êtes réellement malade, il faut vous coucher ; vous n’irez point à l’Opéra.

LUCIE.

Allons, je vais me mettre à table. Toi nette, donnez-moi le bras.

Elle passe avec Toinette.

DORINE, les regardant aller.

Mademoiselle Toinette, vous gâtez tout ce que je fais ; mais je vous le revaudrai.

Elle sort.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

MÉLANIDE, LUCIE

 

Cette dernière a l’air triste et rêveur.

MÉLANIDE.

Je suis charmée, mon enfant, de vous avoir fait revenir une seconde fois dans le salon ; les succès que vous venez d’a voir m’ont fait un plaisir inexprimable.

LUCIE.

J’ai cependant bien mal joué du clavecin.

MÉLANIDE.

Oh, je vous assure que tout le monde a été enchanté de vos talents.

LUCIE.

Ah, ma tante, ces éloges-là sont-ils bien sincères ?

MÉLANIDE.

Ce doute fait honneur à votre modestie ; mais rassurez-vous, mon enfant, et croyez que, quand vous le voudrez, il n’y a point de louanges auxquelles vous ne puissiez justement prétendre... Adieu, ma chère fille, il faut achever de prendre vos leçons ; je vais vous envoyer Dorine, et dans deux heures je reviendrai vous chercher, et nous irons à l’Opéra.

Elle sort.

LUCIE, seule.

Comme sa tendresse l’aveugle en ma faveur !... Hélas ! elle a fait tout ce qui dépendait d’elle pour me donner une éducation distinguée... Et moi, qu’ai-je fait pour répondre à tant de soins ?...

 

 

Scène II

 

LUCIE, DORINE

 

Lucie s’assied et rêve.

DORINE.

Eh bien, Mademoiselle, vous avez tourné toutes les têtes ; on ne parle là-dedans que de vos talents, de vos grâces... Mais, d’où vient cet air triste et rêveur ; qu’avez-vous donc ?

LUCIE.

Si vous saviez ce que j’ai entendu, et ce que le hasard m’a fait découvrir !

DORINE.

Comment !

LUCIE.

Après avoir joué du clavecin et chanté, je suis descendue dans le jardin ; en passant le long de la grande charmille, j’ai entendu prononcer mon nom, je me suis arrêtée ; les arbres me cachaient.

DORINE.

Vous avez écouté la conversation ?

LUCIE.

Sans en avoir le dessein, et même mal gré moi, je n’en ai pas perdu un mot.

DORINE.

Eh bien, que disait-on de vous ?

LUCIE.

Tout ce que la critique la plus mordante peut inspirer de plus amer ; enfin j’entendais ces mêmes personnes qui venaient de m’accabler d’éloges dans le salon, me déchirer et se moquer impitoyablement de moi. Une seule cependant à pris mon parti, et de la manière la plus forte et la plus généreuse. Vous ne devineriez jamais son nom ?

DORINE.

Je meurs d’envie de le savoir.

LUCIE.

C’est Mademoiselle de Surville.

DORINE.

Bon !... Mais êtes-vous bien sûre qu’à travers la charmille elle ne vous ait pas entrevue ?

LUCIE.

Oh de mon, très sûre ; elle n’était pas côté. Je vous avoue que cette bonté de sa part m’humiliait autant qu’elle me touchait, et me faisait éprouver je ne sais quoi de pénible que la méchanceté des autres ne me causait pas. La fausseté de toutes ces personnes m’inspirait plus de mépris que de colère et d’émotion ; mais la générosité de Mademoiselle de Surville m’indignait  contre moi-même ; et à mesure qu’elle parlait, je sentais mes larmes couler. Apparemment qu’il est plus cruel de se voir convaincre d’injustice, que d’éprouver celle des autres.

DORINE.

Ce qu’a fait-là Mademoiselle Flore est fort bien certainement ; mais croyez aussi qu’il y entre un peu de désir de se faire va loir auprès des autres, et d’affecter un bon caractère.

LUCIE.

Si cela est, elle a toujours le mérite d’avoir saisi le vrai moyen de se faire valoir ; et c’est beaucoup.

DORINE.

Ah çà, Mademoiselle, il faut pourtant songer à prendre nos leçons. Par où commencerons-nous ?

LUCIE.

Mais, je ne sais... J’éprouve aujourd’hui un découragement, une tristesse que je n’ai jamais ressentis.

DORINE.

Bon, c’est cette conversation que vous venez d’entendre qui cause ce petit mouvement d’humeur. Eh bien, Mademoiselle, voulez-vous que je vous dise une chose qui va bien vous étonner ?

LUCIE.

Quoi donc ?

DORINE.

C’est que tout ce déchainement dont vous étiez l’objet n’est au fond qu’un triomphe très flatteur pour vous.

LUCIE.

Comment ?

DORINE.

Oui, cette critique n’est que l’effet de la jalousie, soyez-en sûre.

LUCIE.

Vous croyez ?

DORINE.

Oh, je vous en réponds. Si vous étiez moins jolie, moins aimable, moins spirituelle, on rendrait plus de justice aux talents que vous annoncez.

LUCIE.

C’est une vilaine chose que l’envie !...

DORINE.

Vous en verrez bien d’autres par la suite. Attendez-vous à la haine des femmes, qui ne vous pardonneront pas votre supériorité sur elles...

LUCIE.

Mais les femmes en général ont donc bien peu d’esprit ?... Il me semble que si j’étais susceptible du vice humiliant dont vous me parlez, je mettrais tous mes soins à le cacher, et que du moins par vanité je serais juste.

DORINE.

Ne vous affligez point d’un mal inévitable. Songez que la haine des envieux est le témoignage de leur admiration secrète, et que leur méchanceté ne sert qu’à relever l’éclat du mérite qu’ils veulent rabaisser.

LUCIE.

La haine !... Je ne puis me faire à l’idée d’inspirer la haine... Moi, je ne haïrai jamais personne, je le sens.

DORINE.

Consolez-vous ; vous ne serez haïe que des méchants, les cœurs sensibles vous adoreront.

LUCIE, l’embrassant.

Que vous êtes aimable, ma chère amie ; vous dissipez toute ma tristesse, on n’en peut conserver avec vous.

DORINE.

Allons, ne pensons plus aux envieux, ne songeons qu’à l’Opéra ; et pour y aller sûrement, débarrassons-nous de nos leçons. Eh bien, voulez-vous jouer du clavecin ?

LUCIE.

Je ne me soucie pas du clavecin aujourd’hui.

DORINE.

Aussi bien, il n’est pas d’accord. Au lieu de cela, chantons.

LUCIE.

Volontiers... Mais j’ai du rhume de cerveau, et j’ai bien mal à la gorge.

Elle tousse.

DORINE.

Et moi aussi ; et rien n’est plus dangereux que de chanter lorsqu’on est enrouée ; c’est risquer de perdre sa voix.

LUCIE.

Réellement j’ai, à ce que je crois, un commencement d’extinction... Mais cependant si vous voulez...

DORINE.

Non certainement, je ne souffrirai point que vous chantiez ; décidément je ne le veux pas. Mais dessinons.

LUCIE.

J’y consens... Mais je suis habillée, et je crains de tacher mon habit avec ces vilains crayons noirs et rouges.

DORINE.

Ce serait bien dommage, car il vous sied à ravir. Allons vous avez raison... Eh bien, reposons-nous pour aujourd’hui.

LUCIE.

J’en suis bien tentée ; mais que dira ma tante ? Elle ne voudra peut-être pas me mener à l’Opéra.

DORINE.

Oh, n’ayez point d’inquiétude, je me charge de cela... On vient, je crois. Ah ! c’est Toinette.

 

 

Scène III

 

LUCIE, DORINE, TOINETTE

 

LUCIE.

Que voulez-vous, Toinette ?

TOINETTE.

Je viens assister à votre leçon, mademoiselle, et comme Madame me l’a permis, en profiter.

DORINE.

Vous êtes arrivée trop tard ; la leçon est finie.

TOINETTE.

Ah ! que j’en suis fâchée ; j’aime tant : à m’instruire !

DORINE.

Vous avez là-dessus un beau modèle sous les yeux.

TOINETTE.

Qui donc ?

DORINE, montrant Lucie.

Eh, Mademoiselle, apparemment.

TOINETTE.

Mademoiselle est un modèle d’application ? je ne l’aurais pas deviné, par exemple.

LUCIE, à part.

Ni moi non plus.

DORINE.

Mais, Toinette, j’imagine que vous n’avez pas la présomption de vous croire plus avancée, plus instruite que Mademoiselle ?

TOINETTE.

Hélas ! pardonnez-moi...

DORINE.

Comment donc ? Mais vous lui manquez de respect.

TOINETTE.

Ah, mon Dieu, ce n’est pas mon intention.

DORINE.

Apprenez d’ailleurs qu’elle pourrait se passer de talents. Quand on est aussi charmante, on n’en a pas besoin.

TOINETTE.

Mais, Mademoiselle, c’est vous qui dans ce moment lui manquez de respect.

DORINE.

Comment ?

TOINETTE.

Vous vous moquez d’elle.

LUCIE, à part.

Je crois en vérité qu’elle a raison.

DORINE.

Réellement, Toinette, vous êtes bien impertinente.

LUCIE.

Ah, de grâce, ne vous fâchez pas contre elle.

DORINE.

Vous prenez son parti quand c’est vous qu’elle offense ! Quelle générosité... oui, vous possédez toutes les vertus.

TOINETTE, à Dorine.

Ah, Mademoiselle, à propos, j’oubliais que Madame m’a chargée de vous dire de l’aller trouver quand la leçon serait finie, pour lui en rendre compte.

DORINE.

J’y vais.

Bas à Lucie.

Soyez tranquille, je lui dirai des merveilles de vous et de vos progrès.

Haut.

Adieu, Mademoiselle, je reviendrai bientôt vous rejoindre.

Elle sort.

 

 

Scène IV

 

LUCIE, TOINETTE

 

LUCIE, à part.

Elle va mentir à ma tante, elle va la tromper ; cela me fait une peine affreuse.

TOINETTE.

Mademoiselle, vous avez l’air triste ; est-ce que vous êtes fâchée contre moi ?

LUCIE.

Non, ma chère Toinette... mais j’ai du chagrin, et depuis bien longtemps.

TOINETTE.

Eh bien, voilà que vous m’affligez.

LUCIE.

Vous m’aimez donc, Toinette ?

TOINETTE.

Oh pour cela oui... mais je n’aime pas Mademoiselle Dorine.

LUCIE.

Pourquoi ?

TOINETTE.

C’est qu’elle ne dit pas la vérité, et cela est si vilain !

LUCIE.

Je vous ferais bien une confidence ; mais il faut me promettre de n’en parler à personne, pas même à ma tante.

TOINETTE.

Eh, Madame ne dit-elle pas elle-même qu’il ne faut pas trahir un secret ?...

LUCIE.

Je puis donc compter sur vous ?...

TOINETTE.

Entièrement.

LUCIE.

Eh bien, Toinette, j’aime Dorine, mais je vous avoue que depuis quelque temps je m’aperçois qu’elle me flatte trop.

TOINETTE.

Oh cela, je parierais que je l’ai découvert avant vous.

LUCIE.

Elle me donne des louanges qui sont trop fortes pour être sincères...

TOINETTE.

Encore tout à l’heure.

LUCIE.

Je l’ai remarqué. Et puis elle trompe ma tante sur mes leçons. Ordinairement j’en passe la moitié à ne rien faire, et c’est ce qu’elle cache.

TOINETTE.

Je vois cela tous les jours.

LUCIE.

Et ce n’est cependant rien en comparaison de ce qui est arrivé aujourd’hui.

TOINETTE.

Comment donc ?

LUCIE.

Quand а elle a dit à ma tante que j’ai été bien appliquée, que j’ai bien pris mes leçons, cela n’est pas tout à fait vrai ; mais du moins j’ai toujours un peu travaillé...

TOINETTE.

Oui, tant bien que mal.

LUCIE.

Eh bien, imaginez-vous que pour aujourd’hui... En vérité je n’ose achever.

TOINETTE.

Dites-donc, Mademoiselle.

LUCIE.

Aujourd’hui, Toinette, je n’ai rien fait du tout.

TOINETTE.

Quoi ! ni chanté, ni dessiné, ni joué du clavecin ?

LUCIE.

Pas seulement essayé. Et dans cet instant, elle conte à ma tante que j’ai fait des merveilles.

TOINETTE.

Oh, que cela est malin !...

LUCIE.

Voilà un mensonge réellement affreux.

TOINETTE.

Ah, Mademoiselle, avouez tout à Madame.

LUCIE.

Je ne le puis, je ferais renvoyer Dorine.

TOINETTE.

La belle perte, une menteuse.

LUCIE.

Avec tous ses défauts, elle m’aime, et cette idée m’y attache.

TOINETTE.

Si elle vous aimait, vous flatterait-elle ? Vous passerait-elle toutes vos fantaisies ? Ne tâcherait-elle pas de vous en corriger ?...

LUCIE.

Cela est vrai... Mais cependant je ne puis croire qu’elle n’ait pas de l’amitié pour moi ; elle me le répète si souvent.

TOINETTE.

Eh ne savez-vous pas que les mensonges ne lui coûtent rien ?

LUCIE.

Celui-là serait si noir !...

TOINETTE.

Pas plus noir que de tromper Madame qui se fie à elle.

LUCIE.

Enfin, il me faudrait une preuve bien claire pour me persuader qu’elle ne m’aime point du tout ; et comme je ne l’ai pas, décidément je ne veux pas la faire renvoyer ; Toinette, gardez bien mon secret.

TOINETTE.

Vous y pouvez compter... Mais j’en tends la voix de Madame. C’est elle-même. Mademoiselle Dorine la suit.

 

 

Scène V

 

TOINETTE, LUCIE, MÉLANIDE, DORINE

 

MÉLANIDE, à Lucie.

Venez, ma chère Lucie, embrassez-moi ; Dorine est enchantée de vous, et tout ce qu’elle m’en a dit me cause une joie extrême.

LUCIE, à part.

Cela me perce l’âme.

MÉLANIDE.

Si vous vous conduisiez toujours ainsi, vous feriez mon bonheur.

LUCIE, avec embarras.

Ma tante...

MÉLANIDE.

Promettez-moi, ma fille, que ce sera tous les jours la même chose... Vous ne répondez point, vous baissez les yeux... Vous ne voulez point prendre un engagement qui me rendrait si heureuse ?

DORINE.

Oh, Mademoiselle, j’en suis sûre, le remplirait avec plaisir.

LUCIE, vivement à Dorine.

Non, Mademoiselle, non...

DORINE, à Lucie.

Mais vous n’y pensez pas.

MÉLANIDE, à Lucie.

Eh bien, Lucie, je ne suis pas fâchée de ce que vous venez de dire là ; du moins il y a de la bonne foi. Je désire que vous ayez des talents, mais je veux avant tout que vous soyez vraie ; c’est la première de toutes les vertus.

LUCIE, à part.

Comme tout cela me fait souffrir ; quel reproche pour moi !

MÉLANINE.

Ne parlons plus d’étude aujourd’hui ; Dorine est contente de vous, il faut vous en ré compenser ; ne songeons qu’à nous divertir.

LUCIE.

En vérité.ma tante, je ne mérite point de récompense.

MÉLANIDE.

Cette opinion ne vous en rend que plus digne.

DORINE, bas à Lucie.

Quittez donc cet air embarrassé.

LUCIE, à Dorine avec humeur.

Laissez-moi ?

MÉLANIDE, à Lucie.

Ma fille, je vous trouve abattue et changée ; vous n’êtes pas malade ?...

LUCIE.

Non, ma tante.

MÉLANIDE.

C’est sa leçon qui l’aura trop appliquée.

À Dorine.

Il ne faut pas non plus les lui donner si longues. Je ne veux pas qu’on la fatigue.

LUCIE, à part.

Elle ne dit pas un mot qui ne me pénètre.

MÉLANIDE.

Il n’est que quatre heures ; je vais faire un tour de jardin avant d’achever ma toilette. Lucie, voulez-venir avec moi ?

LUCIE.

Volontiers, ma tante.

MÉLANIDE.

L’air vous fera du bien, car je parie que vous avez mal à la tête ; venez, mon enfant...

Elle s’appuie, sur Lucie, elles sortent ; Toinette les suit.

 

 

Scène VI

 

DORINE, seule

 

Lucie me fait la mine tout de bon ; à qui en a-t-elle ?... C’est une capricieuse petite créature. Mais pendant que je suis seule, relisons un peu la lettre que j’ai commencée ce matin. En vérité je n’ai pas un moment à moi.

Elle cherche dans sa poche.

Ah bon, en voici bien d’une autre. Je crois, Dieu me pardonne, l’avoir perdue... Cela serait affreux.

Elle cherche toujours.

Je ne la trouve pas. Je l’aurai peut-être laissée sur ma table... Oh ciel, quelle inquiétude ! Allons la chercher.

Elle fait quelques pas pour s’en aller.

 

 

Scène VII

 

DORINE, TOINETTE

 

TOINETTE.

Eh mon Dieu, Mademoiselle, où courez-vous si vite ?

DORINE.

N’auriez-vous pas trouvé un papier par hasard ?

TOINETTE.

Comment est-il fait ?

DORINE.

Une feuille pliée.

TOINETTE.

Y a-t-il de l’écriture ?

DORINE.

Eh oui.

TOINETTE.

Deux pages ?...

DORINE.

Eh, c’est cela. Allons, vite, rendez-le moi.

TOINETTE.

Eh bien ; je n’ai rien trouvé, c’était pour rire.

DORINE.

Peste soit de la petite bête, qui m’a muse ici et me retarde... Allons, allons, il faut que je la retrouve...

Elle sort.

TOINETTE, seule.

Oui, oui, dépêchez-vous. Allez, vous ne retrouverez rien... Petite bête, dit elle ; pas si bête... Ah, voici justement Mademoiselle Lucie.

 

 

Scène VIII

 

TOINETTE, LUCIE

 

TOINETTE.

Venez, venez, Mademoiselle ; j’ai de drôles de choses à vous conter.

LUCIE.

De quoi s’agit-il ?

TOINETTE.

Croyez-vous toujours à l’amitié de Mademoiselle Dorine pour vous ?

LUCIE.

Je n’ai pas de nouvelles raisons d’en douter.

TOINETTE.

Connaissez-vous son écriture ?

LUCIE.

Apparemment.

TOINETTE, tirant une lettre de sa poche.

Eh bien, tenez ; voilà une lettre qu’elle a commencée. Voulez-vous entendre comment elle vous y traite ?

LUCIE.

Vous l’avez lue ?

TOINETTE.

Oui, d’abord sans savoir ce que c’était, et puis après pour m’éclaircir sur son compte.

LUCIE.

Toinette, ce que vous avez fait là est fort mal ; on ne doit pas... 

TOINETTE.

J’en conviens ; mais c’est mon attachement pour vous qui m’a fait commettre cette faute. J’ai vu qu’on parlait de vous dans cette lettre, et j’ai voulu savoir à. quoi m’en tenir. Tenez, la voilà.

LUCIE.

Si vous me la donnez, je la brûlerai sans l’ouvrir.

TOINETTE.

Oh, dans ce cas-là, je la garde. Écoutez, Mademoiselle, le mal est fait, profitez-en...

LUCIE.

Mais comment ce papier est-il tombé dans vos mains ?

TOINETTE.

Je l’ai trouvé sur l’escalier.

LUCIE.

Dorine y dit du mal de moi. 

TOINETTE.

Ce ne sont peut-être que des vérités. Je vais lire, jugez-en.

Elle lit tout haut.

« Plaignez-moi, ma chère amie, non-seulement d’être séparée de vous, mais encore de la cruelle vie que je mène ici. Cette petite fille dont je vous ai déjà parlé m’excède tous les jours davantage... »

LUCIE, l’interrompant.

Mon nom n’y est pas, c’est peut-être de vous qu’il est question.

TOINETTE.

Écoutez jusqu’au bout.

Elle lit.

« Pour surcroît de peines, je suis obligée de l’approuver et de la flatter sur tout, parce qu’elle est si vaine, que c’est le seul moyen de lui plaire... »

LUCIE.

Ah Dieu !...

TOINETTE, lisant toujours.

« Elle se croit un petit prodige d’esprit, et en vérité elle n’a pas le sens commun ; car elle a tous les défauts qu’entraîne la bêtise : elle est orgueilleuse et moqueuse ; passe sa vie dans l’oisiveté, à railler, médire, ou devant un miroir à contempler la plus médiocre et la plus commune figure que vous ayez jamais vue. Enfin Lucie... »

Elle s’interrompt.

Le nom y est pour cette fois !...

LUCIE.

Ah quelle noirceur !...

TOINETTE, continuant.

« Enfin, Lucie sera certainement un jour la plus ridicule, et la plus impertinente petite personne... » Voilà tout, Mademoiselle, la lettre n’est pas achevée... Elle s’est arrêtée là en beau chemin.

LUCIE.

Donnez, je veux encore lire moi-même.

Elle prend la lettre et lit tout bas.

TOINETTE.

Ah, voyez, cela y est, je n’ai rien ajouté.

LUCIE, rendant la lettre.

Est-il possible d’avoir l’âme assez méchante pour pousser aussi loin la fausseté... Je puis avoir tous les défauts qu’elle me trouve ; mais pourquoi me les cacher ? pourquoi ne pas m’en avertir ? j’aurais pu m’en corriger.

TOINETTE.

Il faut tout conter à Madame.

LUCIE.

Cela n’aura-t-il pas l’air de la vengeance ? Et la vengeance est bien condamnable !

TOINETTE.

Ce ne sera pas pour vous venger, mais pour cesser de tromper Madame.

LUCIE.

Je ne parlerai point de la lettre, je ferai seulement l’aveu du mensonge de tantôt.

TOINETTE.

Cet aveu ne suffira peut-être pas pour la faire renvoyer ; Madame est si bonne !

LUCIE.

N’importe, je suis décidée à ne dire que cela.

TOINETTE.

Je vais aller chercher Madame.

LUCIE.

Ne lui dites rien ; je veux moi-même lui avouer ma faute.

TOINETTE, à part.

Oui, oui, elle ne parlera pas de la lettre, mais je la montrerai. Il faut punir les méchants.

Elle sort.

LUCIE, seule.

Quelle ingratitude ! Quelle fausseté ! Je dois la plaindre d’être si méchante ; cela doit donner bien du repentir !... On n’est pas née comme cela ; c’est qu’elle aura été mal élevée... Hélas ! peut-être qu’on l’aura flattée dans son enfance !... Odieuse flatterie, je vous déteste à jamais...

Elle tombe dans un fauteuil.

 

 

Scène IX

 

DORINE, LUCIE

 

DORINE, dans le fond du Théâtre sans voir Lucie.

Je ne la trouve point. Il y a de quoi perdre la tête...

LUCIE, se levant, à part.

C’est elle ; le cœur me bât.

Haut.

Que cherchez-vous ?

DORINE.

Ce n’est rien. Mais que faisiez-vous là toute seule ?

LUCIE.

Je rêvais.

DORINE.

À quoi ?

LUCIE.

À mille choses... Je pensais, par exemple, à mes défauts.

DORINE.

Ainsi vous vous occupiez de chimères ; je vous gronderai d’employer si mal votre temps.

LUCIE.

Non, je me connais enfin... et je voudrais me corriger ; mais il faut me seconder, et me parler vrai... Éclairez-moi sur mes torts... montrez-moi tous mes défauts ; en un mot, devenez sincère... À ce prix je puis encore... oui, je puis, Dorine, vous conserver mon amitié.

DORINE.

Que signifie ce langage ?... et cet air sombre et contraint ?

LUCIE.

Que je ne puis feindre... Du moins ce vice affreux n’est pas encore dans mon cœur... J’appellerai l’amitié à mon secours ; elle ne me flattera point, elle médira la vérité... Je suis jeune, et je parviendrai peut-être à surmonter les défauts qu’on m’a trop justement reprochés !...

DORINE.

Qu’entends-je !... Ah ! je suis perdue...

LUCIE.

Je ne vous sais pas mauvais gré de m’avoir dépeinte telle que vous me voyez, et telle que je suis peut-être. Mais du moins en détaillant tous mes défauts, vous ne deviez pas vous en plaindre, puisqu’ils sont votre ouvrage...

DORINE.

C’en est assez Mademoiselle, épargnez moi le reste, et recevez mes adieux...

LUCIE.

Vos adieux... Pourquoi me quitter ?... Je vous le répète, vous pouvez réparer vos torts... Ne me trompez plus, et restez.

DORINE.

Non, Mademoiselle, je dois vous dire un éternel adieu.

LUCIE.

Éternel !... Arrêtez... Dorine, qu’allez vous devenir ?...

DORINE.

Je ne sais...

LUCIE.

Eh bien ! restez auprès de moi, je vous en conjure ; ma tante ignorera ce qui s’est passé, je vous le promets.

DORINE.

Mais vous, Mademoiselle, pourrez-vous l’oublier ?

LUCIE.

L’oublier, non ; mais le pardonner, n’en doutez pas.

DORINE.

Ce n’est point assez, ma présence vous serait désagréable, il faut vous l’épargner... Adieu, Mademoiselle.

Elle sort.

LUCIE, attendrie.

Écoutez... écoutez... Elle me quitte ! où va-t-elle ?... Je sens mes larmes couler malgré moi... Elle me trompait, elle me haïssait ; je ne l’estime plus, je ne dois plus l’aimer... mais je l’aimais... Ce souvenir m’attendrit. Elle ne peut plus m’être chère, cependant je m’intéresse à son sort... Mais on vient... Ah, c’est ma tante !

 

 

Scène X

 

MÉLANIDE, TOINETTE, LUCIE

 

MÉLANIDE.

Ma chère Lucie, je viens vous remercier de l’intention où vous étiez de m’avouer vos fautes.

LUCIE.

Quoi ! ma tante, Toinette vous a dit ?...

MÉLANIDE.

Elle m’a tout conté, et m’a montré la lettre malgré votre défense, que j’approuve cependant. Dorine a reçu le juste prix de ses noirceurs, elle est démasquée et renvoyée.

LUCIE.

Quoi, vous venez donc de la rencontrer ?

MÉLANIDE.

Dans l’instant, et je lui ai signifié son congé.

LUCIE.

Mais quel sera son asile ?...

MÉLANIDE.

Je l’ignore.

LUCIE.

Ah ! ma tante, elle est sans fortune ; je vous conjure...

MÉLANIDE.

Il suffit, vous le désirez, je vous promets de lui procurer les secours dont elle aura besoin. Enfin, grâce au ciel, son imprudence a réparé le tort que vous faisait sa perfidie. Que cette cruelle expérience vous apprenne, mon enfant, à vous défier des flatteurs, et à chérir la vérité, qui seule peut nous éclairer sur nos fautes, et réprimer l’amour-propre qui nous séduit et nous égare.

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